Aujourd'hui j'ai réussi à obtenir une interview avec cette personnalité qui nous fascine tous et à la fois qui nous terrifie. Vous savez de qui je parle ? Non ? Bien sûr que si, vous l'avez lu dans le titre. J'ai réussi à rencontrer... la mort en personne ! Ça vous en bouche un coin, hein ? Évidemment, avec ses trucs de confidentialité et d'anonymat et tout le tralala, que je n'ai d'ailleurs pas tout compris mais bon ça m'avait l'air conforme, je n'ai pu lui poser qu'une seule et unique question.
J'ai donc fait une réunion d'urgence avec mes différents moi, et nous sommes arrivées à un accord sur la question.
Mais trêve de bavardages, voici donc ce qui s'est passé.
Carla Osbrown : Bonjour très chère...
Mort : Bonsoir. Dépêchez vous, j'ai pas mal de boulot, avec les guerres, les famines, tout ça.
C.O. : Euh, oui je comprends. Donc, voici not... ma question. Votre nouveau livre,
Morts peu communes, sorti très récemment, a suscité un succès énorme. Des centaines de fans ont peu à peu soulevé des questions, notamment sur votre source d'inspiration. Certains soulèvent des théories. Il a été prouvé, après de longues recherches menées par de nombreux experts, que vous avez un jour été... vivante.
Je fit une courte pause, pour observer la réaction de l'invitée qui, à ma grande déception, resta impassible. Pas un frisson, pas une moue, rien. Je repris donc.
C.O. : Une question revient donc très souvent, et c'est celle-là que je vais vous poser. Comment êtes vous morte ?
Mort : Eh bien, vous n'allez sûrement pas me croire, mais j'étais sorcière à l'époque. Et, qui plus est, élève à Poudlard. Etant donné que j'avais largement prévu cette question
eh ouais, internet c'est pas que pour les jeunots, j'ai donc pris soin de rédiger une courte nouvelle, dans laquelle je narre ma mort.
Elle sortit de sa longue cape noire un beau manuscrit très fin, d'apparence neuve, et le posa sur la table basse entre les deux fauteuils. D'ailleurs, elle n'avait pas touché à son thé.
Mort : Je vous laisse le privilège de le lire, et de le publier dans votre... journal, si vous le souhaitez. Vous avez donc terminé, et je vous dis au revoir. Ou peut-être à bientôt...
Je n'eus pas le temps de la retenir qu'elle s'évapora.
Me voilà donc en possession d'une œuvre rare, que je vais, fidèles lecteurs, inscrire à la suite. Profitez bien !
L'énergie du désespoir
"Cher tonton,
Comment ça va ? Pour ma part, je me porte à merveille. Ici nous sommes rentrés de vacances depuis une semaine, même si la reprise des cours a été un peu difficile. Il fait de plus en plus froid et, il y a quelques jours, j'ai ressorti ma vieille veste noire, celle que tu m'avais offerte pour mes 12 ans. Elle commence a être un peu petite d'ailleurs.
J'espère que ta vie à Azkaban n'est pas trop horrible, même si je sais que c'est vraiment très dur là-bas, et que beaucoup deviennent fous. Je souhaite vraiment que tu puisses sortir rapidement, quel qu’en soit le moyen. Je pense à toi tous les jours, et j'ai acheté un petit souvenir quand j'étais en Australie. J'espère pouvoir te le donner pour Noël, ou au moins pour ton anniversaire.
Je dois te laisser.
Grosses bises de ta nièce sorcière préférée."
Une jeune fille écrivait, courbée face à son bureau. Elle essayait d'écrire de bonnes choses, des choses heureuses, à son oncle. Celui-ci avait été emmené, deux semaines plus tôt, dans la prison d'Azkaban, pour un crime qu'il n'avait pas commis. Une fois le dernier point tracé, elle lécha le bord de l'enveloppe, la ferma, puis rangea la lettre dans un petite boîte de velours, blanche comme la neige fraîchement tombée. Elle la posa sur le dessus d'une pile d'autres lettres, toutes écrites de la même façon. Elle ferma la boîte et tourna la clé dans la serrure, avant de glisser cette dernière dans une chaussette rayée mauve et blanche, rangée dans un tiroir au milieu d'autres vêtements.
Derrière ce masque de bonne humeur reflétée à l'écrit, se cachait en réalité une jeune fille attristée par la perte de cet être cher.
L'adolescente savait qu'elle n'enverrait sûrement jamais ces lettres, que son oncle n'était déjà peut-être plus de ce monde. Mais qu'importe, elle ressentait le besoin d'écrire et de laisser une trace de son passage sur ce monde.
Ce fut donc la gorge serrée qu'elle sortit de son Dortoir, puis de sa Salle Commune. Elle comptait dédier son après-midi à errer dans les couloirs, étant donné qu'elle n'avait pas cours. Elle passait de plus en plus de temps seule avec ses pensées.
Depuis la nouvelle de l'enfermement de son oncle, elle ne savait plus à qui se confier. Il était la personne avec qui, depuis toute petite, elle était la plus proche. Il avait su garder ses secrets, la réconforter de ses peines de cœur, la conseiller sagement ; mais il était aussi source de fous rires, de blagues idiotes et de parties de batailles de coussins. Elle le voyait plus comme un grand frère que comme un oncle. C'était, on pouvait le dire, son meilleur ami.
Elle longeait les murs des couloirs, ne réfléchissant même pas en arrivant à un croisement. Inconsciemment, elle reproduisait toujours le même parcours, qui prenait fin dans le Parc de l'école de sorcellerie de Poudlard. Ainsi, elle passait devant d'innombrables salles de classe, tableaux, escaliers et personnes.
La jeune fille marchait d'un pas lent et traînant, le menton baissé et les mains croisées dans son dos légèrement courbé. Elle entendait des conversations, des rires et des cris, mais ne les écoutait pas. Elle se contenait de marcher. Même Peeves qui lançait des bouts de craies, comme à son habitude, ne réussit à la sortir de ses rêveries. Celui-ci la suivit durant une dizaine de mètres. Mais n'obtenant pas la réaction désirée, il abandonna rapidement.
Ses longs cheveux tombaient en bataille sur ses épaules et sa nuque. Son regard couleur de nuit, d'ordinaire pétillant de malice, était totalement vide d'expression et souligné de cernes. Ses lèvres fines étaient sèches. Sa peau était terne, ses joues d'un pâleur inquiétante. Elle avait clairement perdu du poids. Ses habits n'avaient pas une pointe de couleur, ils étaient toujours noirs ou gris, et pas en très bon état.
Dès le premier regard, on devinait facilement qu'elle était chamboulée, bouleversée, déprimée, perdue, abattue... Qu'elle n'allait pas bien. Et qu'elle ne voulait voir personne.
Et effectivement, elle n'allait pas bien. Elle aurait voulu avoir la possibilité de recommencer à zéro, pour pouvoir faire ce qu'elle n'avait pas fait. Pour accorder plus d'importance aux moments uniques de la vie. Pour dire plus souvent "je t'aime" aux personnes auxquelles elle tenait. Pour ne pas commettre d'erreurs.
Pour revoir son oncle encore une fois.
Au début, au tout début, elle avait refusé d'accepter l'idée que son oncle ait été accusé et enfermé. Elle était restée de marbre, ne sachant que dire ni que faire. Pleurer. Crier. Fermer les yeux. Se fondre dans les bras de sa mère. Courir. Tout. Rien. Mais elle n'avait pas le choix, elle ne pouvait rien y changer.
Puis elle avait tenté de penser à autre chose. A quelque chose de joyeux, de coloré, de positif. Mais tout finissait pas revenir vers le même sujet, encore et toujours.
Elle avait fini par arrêter de fuir ses souvenirs, ses sentiments, ses pensées. Elle les laissait l'envahir et l'engloutir toute entière.
C'est là qu'elle avait radicalement changé.
Les vêtements colorés, customisés, avaient laissé place à des vêtements sombres et simples. Elle avait perdu sa coquetterie et ne prenait plus le temps de se coiffer ni de prendre soin d'elle. La jeune fille rieuse et maligne était devenue solitaire et taciturne. Son appétit avait disparu, elle mangeait à contrecœur. Ses amis avaient d'abord voulu la réconforter et la distraire, mais ils perdaient vite espoir au fur et à mesure qu'elle perdait l'envie de vivre.
On eut dit que c'était elle qui se trouvait à Azkaban, l'âme consumée par les Détraqueurs.
On l'aurait pu croire dans une bulle de mauvais temps, dans un monde merveilleux. Dehors, des enfants frôlaient le ciel sur leurs Nimbus, lisaient à l'ombre d'un pin, s'entraînaient à jeter des sorts, discutaient, riaient, souriaient, couraient, sautaient, jouaient, marchaient, respiraient... Ils vivaient et ils en profitaient.
Tout le contraire de la jeune fille, qui avait finit par les rejoindre à l'extérieur. Elle s'assit au milieu de l'herbe, les jambes repliées contre la poitrine et le visage posé sur ses genoux. Le regard perdu dans le vide, elle repassait encore et encore les bons souvenirs en compagnie de son oncle.
Cela devait faire deux ou trois jours qu'elle n'avait pas fermé l’œil, de peur que ses rêves ne se changent en cauchemars et empirent son état actuel. Mais peu à peu, la brise fraîche caressant ses joues, l'herbe chatouillant ses pieds et les rires des autres élèves la berçaient doucement. Ses paupières se fermèrent lentement, lentement, lentement...
Petite, elle avait souvent fait le même rêve. Elle était sur le dos d'un sphinx, au dessus d'un océan de nuage roses et dorés, une dizaine de ballons de baudruche colorés dans une main, une petite poupée en plastique dans l'autre. Cette poupée venait d'un jeu Moldu pour petites filles. Elle venait accompagnée d'une Licorne scintillante, dont la corne clignotait lorsqu'on appuyait sur un bouton situé son son flanc.
Toujours, chaque fois qu'elle avait fait ce rêve, il lui arrivait la même chose. Sa poupée lui tombait des mains, la créature mythologique descendait en piqué pour la rattraper, la fillette perdait un ballon, rattrapait la poupée et remontait. Et, de nouveau, la poupée tombait, et ainsi de suite jusqu'à ce que l'avant-dernier ballon ne s'envole. Alors, la poupée tombait...
Et elle se réveillait. Toujours à cet endroit fatal, avec l'angoisse de l'ignorance. De ne pas savoir ce qui se passerait lorsqu'elle lâcherait le dernier, l'ultime ballon.
Appuyée contre l'arbre, la jeune fille s'endormit. Et son rêve la mena sur le dos d'un sphinx, avec une poupée. Et un unique ballon dans l'autre main.
La poupée chut.
Le sphinx plongea.
Le ballon s'envola...
Un bon quart d'heure plus tard, la jeune fille se réveilla. Mais elle n'ouvrit pas les yeux pour autant. Elle réfléchissait à ce qu'elle venait de rêver. Elle leva ses paupières et dut cligner plusieurs fois les yeux pour s'habituer à la lumière orangée du coucher de soleil. Elle se redressa. Se passa une main dans les cheveux, puis l'autre. Rejeta la tête en arrière. Se leva, et marcha vers le château. Cette fois, elle ne pensait pas, et elle savait parfaitement vers où elle se dirigeait. Elle tourna de nombreuses fois, gravit de nombreux escaliers. Et atteignit une des quelques plus hautes tours du bâtiment.
Le soleil s'était déjà enfoncé dans les collines, au loin. N'en restait plus qu'un arc de cercle lumineux. Elle s'approcha de la balustrade, regardant l'astre descendre lentement avant de disparaître.
Un sourire, quoique léger, illumina son visage.
La nuit tomba rapidement, et de son poste élevé, elle voyait les deniers élèves qui flânaient sur l'herbe, ou se bécotaient contre un mur. Elle n'avait pas quitté son sourire.
Elle savait que la vie était faite pour être vécue. Mais, à trop vouloir frôler la mort, il valait mieux s'y plonger et y rester, plutôt que de risquer sa vie sous les yeux inquiets de ses proches.
Elle avait tenté de se couper les veines. La poupée était tombée.
On l'avait secourue. Le sphinx avait plongé puis remonté.
Elle s'était laissée mourir de faim. La poupée était tombée.
On l'avait nourrie de force. Le sphinx avait plongé puis remonté.
Encore, et encore, et encore. Jusqu'à ce qu'il ne reste plus qu'un simple ballon. Dont sa vie dépendait.
Elle souriait toujours. Ce serait la dernière fois.
Ramenant ses cheveux derrière ses épaules, elle se mit de dos à la balustrade. Sortant sa baguette, elle pointa le sol, entre la porte et elle-même.
La poupée glissait peu à peu. Elle s'humecta les lèvres, bien que son cœur n'accélérait pas. Yeux fermés, sourire aux lèvres, elle prononça la formule.
« Bombarda Maxima. »
La poupée tomba. Le ballon s'envola. Et le sphinx ne revint pas.