Bonjour !
Je suis Hermès, dieu des voyageurs, des messagers, des vagabonds, des bandits, des ambassadeurs, des artistes, du commerce, de la ruse, de l'éloquence, des voleurs, du hasard, des chiens de garde, des cookies aux noix de pécan, des poissons pas tout à fait rouges, des cartes du monde à moitié déchirées, des lutins de Cornouaille, des autocollants rouges, des sacs-cabas, des émoji ange, des tortues marines allergiques à l'eau, des...

Ok, vous vous en fichez.

On passe à un autre registre alors. Oui, c'est ça, mon enfance. Les dieux, on a souvent tendance à les représenter vieux, ou ado. Mais imaginez vous un bébé Arès ou un bébé Perséphone, ça doit être trop mignon !
Moi, je suis le fils de Zeus et d'Héra. Vous croyez que notre cher monsieur va rester fidèle ? Je suis né en Grèce centrale, dans une petite caverne sur le mont Cyllène (37° 56′ 22″ nord, 22° 23′ 45″ est), assez à l'abri du regard d'Héra et plutôt tranquille. Un site pas mal pour des vacances, quoi. Après pour un accouchement...
Bref. Ma mère a accouché, m'a bordé, m'a chanté de jolies berceuses, m'a bien emmitouflé dans du tissu pour que je ne bouge pas, et a fait une sieste. Elle venait de sortir d'un accouchement, elle était fatiguée !

Sauf que moi, pendant ce temps-là, j'étais bien éveillé, mais surtout en pleine forme ! Mon cerveau était en ébullition, plein de bonnes idées faisaient surface. Alors, je me dépêtrais pour sortir de ma prison. Sincèrement, à peine étais-je né que ma mère m'enfermait. Bonjour la confiance ! Je n'avais pourtant encore rien fait. Je sortis dehors, dans le champs, car prendre l'air était bien agréable ! Je fis quelques pas, et déjà, je me cognai contre quelque chose. Une sorte de caillou un peu dur. Étrange ! En m'approchant plus, je compris que c'était une carapace de tortue, cet étrange animal vert qui bougeait lentement. Et au bout de la carapace, il y avait même une tortue ! Super !

À ce moment-là, il fallait comprendre que ce n'était pas parce que je n'avais que quelques heures que je n'étais pas perspicace. Si j'avais gardé un petit corps pour les formalités, mon esprit, lui, devenait très développé ! Tout content, je rentrai vers la grotte avec ma nouvelle trouvaille.
Je réfléchis un petit instant à ce dont cela pourrait me servir, et je décidai qu'il était temps de développer mes talents artistiques. J'arrachai gaiement la tête, les pattes, puis l'ensemble de la tortue. C'était quand même super drôle de la voir se tortiller comme ça ! À cela, j'ajoutai des tendons de mouton qui traînaient dans la grotte. Lorsque j'eus fini de tout assembler, j'obtins un résultat plutôt satisfaisant : grâce aux sept cordes, je pouvais obtenir une variété de sons assez sympa ! Je décidai de l'appeler "la lyre". J'en jouai, encore et encore, profitant de ma nouvelle invention (un vrai délire, surtout quand il y en a plusieurs). Voici comment en quelques heures, j'avais inventé un nouvel instrument de musique, la souffrance animale aiguë et les insomnies parentales. Efficace !

Je fus stoppé dans ma course de créativité par quelque chose de bien plus important : j'étais affamé ! Le ventre est le deuxième cerveau, et maintenant que j'avais fait fonctionner le premier, il était temps de mettre en marche le deuxième. Quel repas serait digne d'une telle personne comme moi ? La tortue qui commençait à flétrir, ça ne me paraissait pas suffisant. Je sortis donc une nouvelle fois de la caverne, à la recherche d'un mets divin !

J'étais en train de grimper au sommet du Mont Cyllène, lorsque je fus inspiré. Qu'il y avait-il de mieux, pour un premier repas, que de déguster quelques vaches d'Apollon, le dieu du soleil ? Les bovins semblaient être d'accord avec moi, car j'entendis quelques beuglements. Ok, c'est pas du jeu parce que j'ai des oreilles de super bonne qualité, mais quand même !

J'espérais sincèrement que ce repas en valait le coup. Cela faisait maintenant une heure que je marchais, malgré mon beau rythme. Heureusement, j'arrivai juste à côté du joli troupeau d'une centaine de bovins du dieu du soleil. Au final, je n'avais pas si faim que ça, et une cinquantaine de vaches suffirait. Il ne restait plus qu'à pouvoir les faire quitter l'endroit discrètement, ce qui, croyez-moi, n'était pas si simple. La mer qui se trouvait juste à côté de moi m'inspira. Je mis alors en place un ingénieux système : je me fabriquai des raquettes pour masquer mes traces de pas. Ensuite, j'attirai les vaches, de façon à les faire marcher à reculons, tout en attirant leur attention. Je les fis ainsi reculer jusqu'à la mer, où les empreintes pourraient disparaitre. Comme si les vaches étaient sorties de l'eau. Prenez quelques secondes pour vous représenter cette scène : un gamin d'à peine un jour, tâché de sang de tortue, avec des raquettes aux pieds, en train de diriger vers la mer un troupeau à reculons. On préférerait ne pas voir ça !

En réalité, il y eut bien un observateur. C'était bien plus tard, alors que chacun avait repris le sens de marche normal, et que je me dirigeais vers une grotte. Je croisai Battos, un paysan, et je lui pris aimablement son couteau. Je lui fis également promettre le silence (je vous laisse deviner où était le couteau).
Je m'étais fait un bon festin, dont je ne donnerai pas les détails pour épargner les âmes sensibles et les vaches. Je gardai une bonne partie des bovins pour plus tard. Il me fallait bien de la réserve ! Ayant trouvé ma première journée de vie chouette, je retournai à la grotte de ma maman, dans mon berceau, et j'allai me coucher. Mais l'histoire était loin de s'arrêter là...

Le lendemain, Appollon, ex propriétaire de la totalité du troupeau, vit que ce dernier s'était amoindri. Il ne mit pas longtemps à trouver la source du problème, après une petite discussion avec Battos. Et qui vint troubler mon profond sommeil de digestion... Mon grand frère préféré, et pas de bonne humeur ! Il paraît que je lui avais volé des vaches ? Et puis quoi encore. Un nouveau né qui vole des vaches ? N'importe quoi ! Malgré toutes mes tentatives pour nier en bloc, ma culpabilité était indiscutable, et Apollon m'amena à côté de papa Zeus, pour qu'il me punisse. Malheureusement pour mon frérot, je suis tellement extraordinaire qu'en trois secondes, mon papa tomba en admiration devant moi, et ne me punit pas. Je devais seulement rendre les vaches, et rembourser les deux perdues.

En chemin, je sortis ma lyre pour en jouer un morceau. Bien sûr, Apollon la voulut immédiatement. C'était lui le dieu de la musique, après tout ! Or, je suis fin négociateur. Voilà ce qu'un bébé de deux jours réussit à obtenir contre un instrument de musique : 48 vaches divines, des chaussures hyper classes avec des ailes, une épée en or bien coupante, un spectre désormais appelé caducée, et deux cheeseburgers pour le repas du midi. Je m'étais plutôt bien débrouillé !

Et je sais que toi, ta plus grande inquiétude concerne le sort de Battos, qui n'a pas tenu sa promesse de silence. Ne t'inquiète pas pour lui, je m'en suis occupé ! Je l'ai immédiatement transformé en pilier de pierre. La prochaine fois, il sera peut-être muet, au moins !