Deux années avaient passé. Deux années sans Poudlard. Deux années sans magie. Deux années à vivre dans la honte. Deux années ennuyeuses et horribles. Entre les moqueries des autres sorciers et le regard hautain et dénigrant de son père, Argus se sentait minable. Un rat que les autres voulaient non pas tuer mais plutôt faire souffrir. Son existence même était un pêché. Seules sa mère et sa grand-mère l'aidait. Mais rien de bien concret. Après tout, en fils unique, il n'arrivait même pas à représenter sa famille à Poudlard. Il devait se contenter de réaliser les tâches les plus pénibles à la maison. Il apprenait quelques bribes du programme des autres, mais jamais grand-chose. Deux années à bannir de sa mémoire. Néanmoins, le pire était à venir. 

Noël approchait rapidement chez les Rusard. La maison était entièrement décorée aux couleurs de cette fabuleuse fête. On se demandait même quel serait le menu du dîner. Apparemment, personne ne viendrait cette année. Ils fêteraient cela ensemble. Enfin, se disait le petit Rusard, qui ne supporterait pas les moqueries de ses cousins. Certes son père était présent, mais pour cette fête, c'était négligeable. Pour une fois, le futur s'annonçait plutôt bien. Normalement, il aurait dû être en deuxième année, mais là, il épluchait les pommes de terre, au couteau, pour le repas du midi. Une fois sa tâche finie, il les posa toutes sur un plat, et partit jouer dans sa chambre.

— Argus ?! Tu peux revenir ici, s'il te plaît ? Père et moi avons une grande nouvelle à t'annoncer. Descends vite !

— Humpf. Oui j'arrive. 

Grommellant dans sa barbe imaginaire, Argus descendit les escaliers et arriva dans la salon. Son père ainsi que sa mère étaient assis l'un à côté de l'autre, sourire aux lèvres. Apparemment, cette grande nouvelle était joyeuse. Il se planta face à eux, sans esquisser un moindre sourire. 

— Bien. Nous allons t'annoncer quel sera ton cadeau de Noël.

— Quoi ? Mais non. Je ne veux pas. 

— Tais-toi, Cracmol. Vois-tu, il est un peu spécial. En effet, cette année, tu auras la chance de visiter Poudlard. Et ce durant une journée entière. Tu iras le dernier jour de cours, le 18 décembre.

— Ce cadeau n'est pas merveilleux ? Visiter l'école dans dont tu as tant rêvé ! Tu voulais tellement la voir que l'on a réussi à avoir un arrangement avec le directeur. Et voilà ton cadeau !

— Je... Merci.

Bougonnant, Argus repartit dans sa chambre. En réalité, c'était mauvais signe. Très mauvais signe. Les Autres, comme il les appelait, ne cesseraient de se moquer de lui. Il en était sûr et certain. Il aimerait bien visiter cette incroyable école. Mais sans les Autres. Enfin, il avait encore une semaine pour réfléchir à quelques plans afin d'éviter trop de moqueries.

Pourtant, malgré son appréhension, il était excité comme une puce quand le jour fut venu. À défaut de pouvoir faire de la magie sans les autres, voir cette école lui offrirait de quoi alimenter ses rêves les plus fous. D'ailleurs, il commençait déjà à rêver, à s'éloigner de plus en plus de la réalité... après tout, il avait beau ne pas avoir de pouvoirs, il venait toujours d'une famille de sorciers. Et tous les cours ne nécessitaient pas une baguette magique ! Les potions par exemple, pourraient bien se faire sans trop de baguette, non ? Ou l'Astronomie ? Voire les Soins aux Créatures... Ou la Botanique ! Plus la visite avançait, moins il sentait les regards moqueurs qui pesaient sur son dos. Il n'avait d'yeux que pour ses alignements de pots et les plantes plus magiques les unes que les autres qui lui faisaient face. Bouche bée et bras ballants, au point qu'il faillit même recevoir le pus acide d'un Bubobulb. 

— Regarde où tu mets les pieds, marmonna sa mère.

Elle qui jusque là l'avait toujours soutenue semblait doucement comprendre le désappointement qu'était celui de son père. Le jeune Rusard ne le remarquait pas. Pas encore.

Le déclic final eut lieu, étonnamment, dans la Grande Salle. Décorée pour Noël, elle laissait présager plus de joie qu'il n'en avait jamais connue et plus de chaleur que son petit cœur était capable d'en supporter. Une nouvelle fois, il se retrouva planté au beau milieu d'une allée, à ne plus savoir comment bouger. Il avait l'impression que la magie s'infiltrait dans chacun de ses pores à la simple lueur des bougies flottantes. Voyons, Cracmol, c'était d'un bête ! Ce mot ne voulait absolument rien dire. Il ferait de la magie. Il reviendrait à Poudlard. 

— Argus, viens, il faut que...

Sa mère fut coupée par un flot d'élèves déboulant dans la Grande Salle, trop affamés pour faire attention. Le jeune Rusard fut secoué, bousculé. Il sortit de sa transe. 

— Mais par les culottes de Merlin, je suis là !

Sa phrase stoppa le temps. Tout le monde s'arrêta et prit le temps de contempler sa tenue, à peine soignée, et bien loin de la sobriété de l'uniforme de Poudlard. Pas d'uniforme, à son âge ? Et où était sa baguette ? Les quolibets et les rires ne tardèrent pas à fuser.

— Tu n'as rien à faire ici, sale Cracmol. Sors de mon chemin.

Argus eut l'impression de prendre une claque. Il eut des larmes aux yeux. Des larmes de colère. Contre lui, contre le jeune homme aux cheveux hirsutes qui avait proféré cette phrase, contre son père. Il leur prouverait qu'ils avaient tort. Il ferait de la magie. Il reviendrait à Poudlard.

Article écrit par Partison et Alexeievna et illustré par Ginny Workey