Par Aidan_Dynamite le 1 déc. 2020,
Je ne vous apprends probablement rien en disant que J.K. Rowling et les milieux LGBT+ ne sont pas les meilleurs amis du monde ces derniers temps. Avec quelques tweets transphobes, l’auteure de Harry Potter s’est attiré les foudres des militants et sympathisants de la cause transgenre, allant jusqu’à faire du #RIPJKRowling une des tendances Twitter en septembre.
Disclaimer : je ne suis pas trans. Je suis une bonne vieille femme cis tout ce qu’il y a de plus classique, mais en lisant la multitude d’articles résumant les faits, je me suis posé de nombreuses questions sur la question de l’univers de Harry Potter, des positions questionnables de son auteure, et sur ce que je faisais, moi, dans tout ça. Je ne suis pas de ceux qui veulent séparer l’œuvre et la tête pensante – au contraire. Je prône la lecture en connaissance de cause.
Et je me suis rendu compte, en parcourant les pages du premier tome de la saga, qu’il était étrange qu’une femme transphobe ait écrit ce qui peut s’apparenter à une allégorie de la transidentité. Evidemment, comme toute métaphore filée, elle a ses imperfections. Mais permettez-moi, le temps d’un article, d’offrir mon plus beau majeur aux opinions transphobes de J.K. Rowling, et d’utiliser son œuvre pour expliquer (un peu) la transidentité qu’elle semble avoir tant de mal à accepter.
Hommes, femmes, sorcier, moldus
D’un côté, il y a les hommes. De l’autre, les femmes. D’un côté, il y a les sorciers. De l’autre, les moldus. On naît homme, on naît femme, on naît sorcier, on naît moldu. C’est simple, n’est-ce pas ? Ce sont des lignes claires, faciles, évidentes. Et pourtant…
Parfois, chez les moldus, naissent des enfants qui sont un peu particuliers. Ces enfants grandissent, et ils se savent différents. Bizarres. Il y a, chez eux, quelque chose qui cloche, quelque chose d’inexpliqué, quelque chose qui ne colle pas totalement avec les normes. Ce n’est qu’à l’âge de onze ans qu’ils l’apprendront : ils sont nés-moldus.
Parfois, chez les sorciers, naissent des enfants qui sont un peu particuliers. Ces enfants grandissent, et ils se savent différents. Bizarres. Il y a, chez eux, quelque chose qui cloche, quelque chose d’inexpliqué, quelque chose qui ne colle pas totalement avec les normes. Ce n’est qu’à l’âge de onze ans qu’ils l’apprendront : ils sont cracmols.
Et parfois, tout autour de nous, naissent des enfants qui sont un peu particuliers. Ils grandissent, et ils se savent différents. Il y a, chez eux, quelque chose qui ne colle pas totalement avec les normes. Et petit à petit, ils en prendront conscience, à huit, onze, quinze, vingt, trente ou cinquante ans (si ce n’est plus) : ils sont transgenres. Ils sont nés dans un monde où leur identité, ce qu’ils sont au plus profond d’eux, n’est pas ce qu’attend la société qui les entoure et qui leur a assigné une identité jusqu’à preuve du contraire.
La prise de conscience
Cette prise de conscience peut être vue comme une libération ou une condamnation. Un né-moldu qui se découvre sorcier peut voir la découverte d’un monde nouveau, littéralement magique, comme une explication bienvenue et fascinante de ses étrangetés. Il découvre ce qu’il est réellement, comme Harry Potter sur le Chemin de Traverse. Imaginez un peu Hermione Granger apprenant l’existence de la magie, sa lecture avide de tous les livres qu’elle a achetés avant la rentrée : maintenant qu’elle sait qu’elle est une sorcière, elle veut l’être indiscutablement, entièrement, de la pointe de sa baguette à celle de son chapeau. A l’inverse, on peut penser qu’un cracmol né dans une famille 100% sorcière et qui n’a jamais connu le monde moldu, qui n’a personne pour l’y guider, qui sait que ses parents vont l’y oublier, peut voir cette révélation comme un monde qui s’écroule. Il se prépare à avancer seul, à tâtons, dans l’inconnu, condamné à une existence qui a toujours été méprisée par les gens qui l’entourent, sans rien savoir de ce qui l’attend. Il doit devenir un moldu, renoncer à la magie qui fait tout son quotidien, se lancer vers quelque chose qu’il ne maîtrise pas…
Surtout, cette prise de conscience n’est pas facile. Elle est le résultat d’un combat, d’une réflexion intérieure, de discussions, de recherches. Parfois, elle s’impose comme une évidence. Parfois, la pression extérieure peut pousser quelqu’un à refouler ce qu’il est, ce qui peut entraîner des formes de mal-être, de l’angoisse, de l’anxiété, de la dépression, des envies suicidaires… comme un Obscurial destructeur né de la répression des pouvoirs magiques.
Exclusion, préjugés et préjudices
Dans tout l’univers de Harry Potter, on peut également observer à quel point les personnes qui vivent cette transition d’un monde à l’autre sont victimes de persécution. On pense, évidemment, au fer de lance de la cause de Voldemort, l’éradication des Nés-Moldus. La volonté absolue de Hermione d’être acceptée dans ce nouveau monde qui est le sien montre d’ailleurs bien à quel point la possibilité d’une exclusion est traumatisante. Tout le monde a ri en l’entendant dire : « Nous aurions pu être tués – ou pire, renvoyés. » dans Harry Potter à l’Ecole des Sorciers. Mais ce que cette phrase signifie, dans le fond, c’est qu’Hermione préférerait mourir que d’être obligée de redevenir une simple moldue. Une existence condamnée au mal-être, à vivre une vie qui n’est pas la sienne, à vivre avec une identité qui ne représente pas ce qu’elle est, est pire que la mort.
Au-delà de cet exemple évident, d’autres allusions sont faites quant à la volonté de séparer les deux mondes et d’exclure ceux qui ont l’audace de passer de l’un à l’autre. Ronald Weasley mentionne, en passant, qu’il aurait un cousin comptable, mais que sa famille ne lui parle plus depuis des années : né cracmol, il a été coupé du monde sorcier et de ses proches. Arabella Figgs vit comme une moldue, voisine des Dursley, et garde si peu de liens avec le monde magique que Harry doit attendre ses 15 ans pour apprendre que la vieille femme à la maison pleine de chats est née dans une famille sorcière. Dès son entrée à Poudlard, Lily se fait désormais traiter de monstre par sa sœur Pétunia. Ceux qui sortent du moule sont isolés, exclus, reniés, comme, malheureusement, trop de membres de la communauté LGBT+ dans le monde.
Enfin, une phrase marquante du premier tome vient de Vernon Dursley, quand celui-ci explique que Pétunia et lui se sont jurés qu’ils n’auraient rien à voir avec le monde magique, et qu’ils réussiraient à chasser la magie de Harry, qu’ils en feraient quelqu’un d’absolument normal. Cette phrase est un glaçant rappel aux « thérapies de conversion », de prétendues méthodes permettant de transformer une personne LGBT+ en une personne cis / hétérosexuelle. Je me sens obligée de préciser que, évidemment, ces méthodes ne fonctionnent pas, et ne contribuent qu’à traumatiser les personnes qui sont obligées de s’y soumettre, de la même manière que vous ne pourrez jamais faire d’un né-moldu un moldu, ou d’un cracmol un sorcier.
La non-binarité
Avant de vous jeter sur moi, oui, je sais que non-binarité et transidentité ne sont pas la même chose. Mais puisque l’un des scandales impliquant J.K. Rowling était celui du jugement de Maya Forstater, j’ai choisi d’aborder cette question. Bref résumé de l’affaire : Mme. Forstater est employée dans un think-tank, et refuse d’utiliser les pronoms choisis par l’une de ses employeurs (une personne non-binaire, portant un prénom masculin et, régulièrement, des robes, qui préférait, s’il faut choisir, se faire appeler « elle »), insistant qu’elle reste un homme du fait de son anatomie.
De nos jours, la cause féministe avançant, de plus en plus de gens se retrouvent à combattre les clichés assignés à chaque sexe, à chaque genre, à assumer les différents aspects de leur personnalité. Les questions d’identification, de genre et de sexe restent encore floues pour beaucoup, moi y compris, mais la métaphore filée de l’univers magique de J.K. Rowling m’a permis de l’aborder avec un autre point de vue.
En effet, le monde sorcier a beau vouloir être absolument coupé du monde moldu, tout le monde sait que la barrière entre les deux n’est pas absolument opaque. Le nombre de familles réellement Sang-Pur est négligeable et les proches de Nés-Moldus ont, sans avoir de pouvoirs, un pied dans le monde magique. Les frontières sont poreuses, un peu de magie passe d’un univers à l’autre, comme aujourd’hui nous permettons aux hommes de faire la cuisine et aux femmes de bricoler (sisi, de temps en temps, genre le dimanche de 13 à 15). Tous les personnages ont un peu des deux mondes en eux, sauf certains extrémistes qui refusent absolument d’intégrer ne serait-ce qu’un iota de ce qu’il se passe de l’autre côté du Chaudron Baveur.
Être non-binaire, finalement, c’est être à la fois moldu et sorcier, passer d’un monde à l’autre sans se perdre, rester la même personne sur le Chemin de Traverse et sur Trafalgar Square, prendre indifféremment le Tube et la Poudre de Cheminette, et surtout, refuser que l’un prime sur l’autre. Il y a du mieux des deux côtés, après tout, alors pourquoi se priver ?
C’est ici que se termine ce (très) long article sur la question de la transidentité. Je ne prétends pas avoir la science infuse et ma métaphore, comme mes analyses, est probablement truffée d’imprécisions et d’imperfections. Je tenais seulement à apporter une nouvelle clef de lecture de Harry Potter, de nouvelles pistes de réflexions. Nous le savons bien, nous lecteurs, nous sorciers qui devons affronter le terrible contexte RPGique de Poudlard 12 en nous demandant de quel côté nous sommes, les relations entre le monde magique et le monde moldu sont loin d’être parfaites. Être à cheval entre les deux n’est pas une mince affaire. La question du genre / sexe est au moins aussi compliquée. Mais si nous pouvons utiliser un peu de la magie qui nous a été donnée par J.K. Rowling pour soutenir des personnes qu’elle a pu blesser, alors faisons-le.