Rumeurs - "R. & Cie" ou "La mort au ralenti"
Par Nienna-Lunnen Van Dark le 18 nov. 2009, - Édition n°49 - Lien permanent
Hommage à vous ...
La jeune femme sentit, dans le dos, le point d'impact de la balle. Un mal cuisant, aigu, bref.
Elle continua sa marche, comme si rien ne s'était passé. Mais l'illusion ne dura pas.
Autour d'elle on pouvait voir les parchemins brûlés, les bureaux défoncés, les rectangles béants et carbonisés des tableaux d'affichage, qui prouvaient clairement que les combats avaient été rudes ; et la trêve, une fois de plus précaire.
R. venait d'être atteinte d'une subite plume dont elle n'était pas la cible. Sa plaie était bien réelle.
Elle ne voulait pas en savoir plus. La douleur l'avait lâchée. Ce qui comptaità présent, au-delà de sa vie, c'était d'arriver à l'endroit où elle était attendue. A quinze minutes à pied d'ici, devant cette porte en châne, à l'angle du cinquième couloir.
Elle partit en direction du couloir principal, enjambant les photographies noircies. Les hiboux passaient en permanence au dessus des décombres cherchant, tels des rapaces guétant leurs proies, à distinguer le moindre mouvement, le moindre signe de vie.
Au détour du troisième couloir, elle entendit les plaintes d'homologues d'autres éditions maintenant défaites. Ils la suppliaient mais elle, elle ne voulait rien savoir.
Elle ne voulait plus rien savoir, tout ce qui lui restait à faire était de les retrouver, une dernière fois.
La faillite rendait-elle tout les hommes égoïstes et inhumains ? Oui, sans doute. Elle l'avait en tout cas rendue insensible. Arrivant à la fin du troisième couloir, elle regarda le bureau principal. Hier encore, il était magnifique. Les bureaux centenaires avaient la prestance des grands généraux et les plumes blanches, la grâce des ballerines. Hier encore les notes y virevoltaient et les photographe y papillonaient. Hier encore, ils y étaient, tous ensemble, pour oublier, ne serait-ce qu'un temps, le temps de la trêve, cette horrible dégringolade des ventes.
Cela faisait maintenant deux semaines que les bureaux étaient assiégés. Les vivres manquaient cruellement, l'eau tout autant.
Mais le pire, c'était le froid qui reignait car tout les combustibles avaient été utilisés. "L'enfer c'est le frois". Elle ne se rappelait plus exactement de qui était cette citation. Un anglais peut-être ? Toujours est-il qu'elle était d'accord avec cette affirmation, car elle avait frois et, oui, elle était en enfer. Mais cela aussi importait peu. Ne comptait plus que cette porte en châne, à l'angle du cinquième couloir.
Elle marchait vers elle et la plume accérée s'enfonçait au plus profond de sa chair. Elle n'avait pas mal, non, juste une petite douleur comme le jour où, après un étourdissement, la medicomage s'était trompée de potion. De plus, tout comme la faillite avait engourdi son âme et sa sensibilité, le froid agissait comme un parfait anesthésiant et diminuait son talent.
Au bout de quelques minute, qui lui semblèrent des heures, elle la vit.
Cette porte où tant de fois ils s'étaient rendus. Depuis qu'ils étaient ensemble, depuis qu'ils étaient arrivés chacun leur tour à vrai dire.
Derrière cette porte, les vestiges de leur bonheur se cachaient, interdis.
Elle accélérait le pas lorsqu'elle vit ces silhouettes familières se dissiner au loin, à l'opposé du couloir. R. avançait en même temps que ce groupe de personnes, tribuchant lorsqu'ils tribuchaient, se reprenant à leur manière.
R.les avaient toujours soutenu, depuis le début. Dès que l'un d'entre eux n'avait plus d'idée, avait un coup de cafard, ou même venait de devenir une horrible créature de la nuit, elle avait été là pour eux.
Quand ils arrivèrent tous ensemble devant la porte en chêne, ils titubèrent et s'effondrèrent sur les dalles poussiéreuses. Le seul garçon du groupe, exténué de soutenir ses collègues, mourru le premier. Se. ne mit pas longtemps à suivre B. dans les ténébres. Me. et N., en parfaites âmes-soeurs, s'éteignirent en même temps. Ce fut ensuite le tour de A., H. et Co. qui dans leur mort entrennèrent My. et Sh. Cl. rendit son dernier soupir alors que Ca. essayait desespérément de sauver L. qui venait de rendre l'âme. Ca. mourut dans les secondes qui suivirent. R. se retrouva seule avec devant elle tout ses collègues, morts d'épuisements. Elle renonça à se battre et partit elle aussi dans le monde des morts.
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Hommage aux grands rédacteurs et photographes de l'Edition P12 de la Gazette, morts en ayant combattus de toutes leurs forces la faillite de la Gazette du Sorcier.
Bdragon
Selena Seviev
Méliandre Van Lackshad
Nienna-Lunnen Van Dark
Amy Tremblay
Hikari De Chantraine
Coconut Dynamite
Myrrha Nay
Shaé
Cltck De Kerlouan
Lily Miller
Cachou Euphrasie
Rawen